dimanche 21 novembre 2010

Trail of Tears/Grand dérangement



Pas à pas, terre de feu, le poids de toute l’humanité sur le dos, les hommes s’essoufflent mains liées, à la fois coupables et décideurs de leur propre inconsistance. Je t’aime comme au premier jour, mon enfant, mais je ne veux pas trahir ce que tu es. Je veux vivre dans un monde sans la paix que tu chéris, car je méprise les clauses collectives tout autant que les savoirs partagés.

Critères de faïence. Critères d’ennui, de délices, de rejets. Mais critères de défis pour nos honorables pairs. Qui croire, qui reprendre, qui descendre le temps voulu mais la main ferme dans un angle quelconque de nos rues ? Celui qui chasse, qui pousse au large ? En voyant le ciel qui s’assombrit - ou bien peut-être sont-ce mes yeux qui refusent d’accepter la lumière – je ne peux m’empêcher de penser aux marches de ces gens, défaits dans leur combat et solitaires impassibles. Faut-il longer les nobles rivières en pleurs, ou bien les traverser penauds ? Pourquoi cette lourdeur dans mes pas, alors que je me place prudent sur l’indication d’un père, sur la banquise de l’immense ville ? Amérique ? Tiédeur ? Ivresse ? Demain ? Je prends les quatre, pour commencer. Et toi, Andrew Jackson, je traite tes aïeux de chiens.

Revenons chez nous. C’est un arrondissement de Paris, en bas. Obtus, sinueux, sentant le foutre et l’irraison. Tout l’inverse des convolutions rêvées, tu vois. Tu pars à la recherche d’un confort, de dorures, d’une couche respectueuse pour accomplir ton heureux vice. Mais les orfèvres que tu cites n’ont pas ta patience, ma belle, ton intégrité s’est perdue dans leurs étoffes, et ils sont désormais bien plus vaniteux que toi, assoiffés du sang nouveau des passants alarmistes, des femmes infidèles. Prends garde. C’est moi qu’ils prennent dans leur filet quand tu leur places une parole, c’est toi princesse, c’est l’amour qu’ils évoquent et détruisent chaque instant. Tu ne trouves finalement qu’abîme, et l’anneau qu’ils t’adressent, le sourire niais, ressemble à leur irascible esprit, cervical et constricteur. Alors tu fuis, chassée comme tant d’autres. Tu vois ? Nous suivons les mêmes routes, à travers les époques. Combien de temps, combien de larmes ? Qui sont les êtres qui migrèrent comme toi vers ces marécages odieux ? Ceux qui suivirent leur mal le long de monts inconnus, vers des terres nouvelles qu’ils ne souhaitaient pas rejoindre ? Je t’emmerde, Andrew Jackson.


Quelques personnages. Là-bas, des fossoyeurs discrets à la plume méritante. Ils sont mes amis, et je leur rends hommage. Leur tâche est sombre et infinie, et si personne ne vient, j’irai moi-même recouvrir leurs draps déchus d’une terre sacrée. Ici une femme frêle, au long manteau d’argent. Qui est-elle, et que fait-elle dans ma rue ? On la croirait nue, sa parure est si mince, et qui laisse deviner ses os défaits, sa maigreur angélique. A-t-elle aimé ? Pense-t-elle encore aux douceurs d’un baiser ? Est-ce le jour que j’attendais enfin, Guenièvre, et voudrez-vous bien m’épouser ? Et la voilà déjà disparue, anéantie par les aigreurs du temps. Je bois. Je vois enfin ce chien qui erre la patte recouverte d’un feuillage décomposé aux terribles relents excrémenteux, dont il cherche depuis des mois à se débarrasser. Il rampe affaibli, apeuré, mais ses cris devant ma porte durent depuis trop longtemps, je n’en ai plus aucune pitié. Est-ce toi Julien ? Est-ce toi qui dégage cette odeur de cadavre, de merde ? Pardon, excuse-moi. Je ne saisis plus tout à fait les lignes de la Vérité telle que Petite Fleur les prescrivait le jour de nos quinze ans. Je me suis perdu, peut-être, sur ces routes un peu bruyantes, et me voilà aigri, quelle honte. Toutes les formes que j’aimais se sont cruellement dissipées devant ma bouche, se sont déformées. Oui, c'est Julien qui revient, cet ami qui jadis me prenait la main.


Alors voilà. Je n’ai plus aujourd’hui de prises que sur ton corps, je le crains, et il est ferme, petite, et doux comme du raisin. Allons. Peux-tu m’aider pour finir, sourire, et m’embrasser ? Ou bien t’ennuie-je à point nommé, mes os déjà brisés ? Sur quelles farces promeut-on les plus malins, dis ? Sur quelles traces engage-t-on nos fuites ? Qui sont les enfants du crime, et dans quel fleuve me noierai-je ? Sur quel arbre ? Sur quels saints écrits se basent les putains ? Combien de morts heureuses mon aimée sur la Piste élue des Larmes ? 

Pas une seule, Andrew Jackson, pas une seule.


Link:  Trail of Tears- An American Tragedy-Johnny Cash

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